95 minuti, Francia (2002)
Regia – Gaspar Noé
Alex – Monica Bellucci
Marcus – Vincent Cassel
Pierre – Albert Dupontel
il Tenia – Jo Prestia


Irréversible, histoire d’un évènement irréparable, avec son unicité, son propre impact, mais aussi sa forme. Le film éponyme de Gaspar Noé rend compte d’une soirée inoubliable pour Alex (Monica Bellucci), Marcus (Vincent Cassel) et Pierre (Albert Dupontel), il retrace à l’envers un évènement tragique. Le spectateur ne découvre alors celui-ci qu’à la toute fin du film. Il assiste à une chasse à l’homme qu’il suit sans savoir pourquoi, ce qui n’empêche ni d’avoir quelques éléments sur les évènements, comme si nous menions l’enquête avec les protagonistes (eux cherchent le coupable et le spectateur cherche le crime), ni de compatir avec leur colère. Le film est alors dans le fond un drame mais dans la forme un polar.

Gaspar Noé sait créer des univers spécifiques pour chacun de ses films, il réussit à plonger le spectateur dans une esthétique visuelle fine et précise en harmonie avec le thème et la tournure du film, là où d’autres réalisateurs passent plus par la musique du film (qui devient alors un élément notable) pour créer l’environnement et l’espace qu’ils souhaitent, Noé utilise des musiques simples et efficaces mais sans identité (contrairement à Lynch par exemple ou Kubrick qui utilisent pour un même film une musique qui va se répéter tout au long et donc en créer l’identité sonore) ce qui laisse une place importante à l’image et au montage dans la narration. Mais Irréversible est d’autant plus un cas appart (dans son esthétique visuelle) car il se passe entièrement de nuit (Noé exploite souvent dans ces films les jeux de lumière notamment dans Love avec l’alternance du jour et de la nuit ou dans Soudain le vide) et l’atmosphère de chaque séquence (les différents lieux, lumières, personnages rencontrés) est extrêmement importante pour comprendre à quel point de l’histoire on se situe (les transitions aussi sont d’une aussi grande importance car elles véhiculent tout le long du film la sensation répétitive et exacerbée de vide et de perte de repère).

On pourrait dire que le climax est naturellement le dénouement symbolique pour le spectateur, c’est-à-dire le moment où il comprend de quoi il s’agit depuis le début, la résolution de l’enquête pour lui, de plus cet effet est amplifié par l’intensité de la scène et sa durée mais à la fois son vide, il se passe tout mais il ne se passe rien en même temps. Mais dans l’histoire du film c’est la deuxième scène, celle de l’extincteur (Video I) qui est la plus révélatrice pour l’histoire, car il s’agit là du dénouement pour les protagonistes, c’est leur fin et notre début : c’est un plan séquence filmé intégralement avec une caméra à l’épaule, format qui invite le spectateur à être dans la dynamique de l’enquête policière (caméra cachée ou agent infiltré ?).
La séquence commence donc à l’entrée d’une boite de nuit, filmée en contre plongée pour intensifier encore l’aspect d’infiltration dans une enquête, les mouvements de caméra sont très rapides pour intégrer le spectateur dans le combat qui a lieu, il s’agit d’une scène très violente qui fera écho avec la scène du « dénouement » ainsi que d’autres séquences violentes du film. Au moment de « l’extincteur » (Video I), G. Noé crée un flou qui participe encore à l’immersion dans la scène, les points de vue sont mélangés – on suit un personnage puis un autre puis le mouvement de l’extincteur – entre les différents protagonistes que le spectateur ne connait pas encore. La séquence finit sur une stabilisation de la caméra mais aussi un décadrage qui montre l’état de confusion du personnage joué par Dupontel, il y a alors un champ/contre-champ dans un plan séquence qui montre la réaction de tous les personnages et figurants.

Noé joue alors tout le long du film sur l’ambiguïté de l’irréversibilité avec les transitions dans un mouvement toujours circulaire et à l’aspect chaotique entre chaque ellipse (ou prolepse selon le point de vue adopté) et de l’enquête policière.
C’est un film très “audacieux” (comme le décrit A. Dupontel) dans sa forme, entre violence extrême et montage à l’envers, qui n’a pas eu un grand succès critique. Il a été très mal reçu lors de sa première projection à Cannes car jugé trop violent, vulgaire, incompréhensible et impertinent par les premiers spectateurs du film de Noé qui s’est lui-même fait insulter par un autre réalisateur. Cela n’a pas empêché le film de recevoir des avis positifs à sa sortie. Certains y ont reconnu la créativité de Noé et sa volonté de mettre en scène dans tous ses films des histoires extrêmement sombres.